Extraits repris d'un article : Luigi Riccoboni dit Lelio In: Journal des savants. Juillet-septembre 1958. pp. 97-102.
Hautecoeur Louis. Luigi Riccoboni dit Lelio [Xavier de Courville, Un apôtre de l'art du théâtre au XVIIe siècle, Luigi Riccoboni dit Lelio.]. In: Journal des savants, Juillet-septembre 1958. pp. 97-102; http://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1958_num_3_1_2567
https://www.persee.fr/doc/jds_00218103_1958_num_3_1_2567
" On sait le rôle que le théâtre italien joua dans notre pays. Une première troupe s'était formée qui était devenue en 1665 celle des Comédiens du Roi et qui s'était installée à l'Hôtel de Bourgogne. Louis XIV avait protégé Tiberio Fiorelli dit Scaramouche, Dominique Biancolelli dit Arlequin, puis Angelo Constantini dit Mezzetin ; mais la troupe fut accusée d'avoir commis des licences ; elle excita la rivalité des Comédiens Français et la représentation de la « Fausse Prude », où l'on vit, peut-être à tort, un satire contre Madame de Maintenon, provoqua en 1697 le renvoi de ces Italiens.
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La clientèle de l'Hôtel de Bourgogne fréquenta dès lors les théâtres de la Foire, où elle applaudit les pièces de Regnard, Dufresny, Le Sage et se plut à retrouver parfois chez eux des souvenirs de ces Italiens. Le Régent demanda au duc de Parme de recruter pour lui une nouvelle troupe. Le prince se flatta d'avoir réuni les meilleurs acteurs de l'Italie et ceux « dont les mœurs ont paru le plus réglées ». Et voilà sur la route de Paris Luigi Riccoboni dit Lelio et sa femme Elena Baletti dite Flaminia et les cousins et cousines Benozzi qui amènent avec eux la petite Silvia et Albergotti-Pantalon et Bissoni-Scapin et Vicentini-Arlequin et leurs femmes et amis et un abbé qui se prétendait leur aumônier. "
L'acteur: Lelio-Luigi Riccoboni.
«Luigi Riccoboni, né à Modène en 1676, était le petits-fils d'un professeur de Padoue, docte commentateur d'Aristote, le fils d'un comédien qui avait fini sa carrière comme charlatan. Il avait fait de bonnes études chez les Jésuites et rêvé d'entrer dans les ordres. La nécessité de faire vivre la troupe du duc de Modène le transforma à vingt-deux ans en impresario-acteur. Puis il entra dans la compagnie de la Diana, femme de Jean-Baptiste Constantini ; il épousa en 1707 Elena Baletti, fille d'une comédienne dite Flaminia. Ce surnom avait été porté par sa 'grand-mère qui s'était intéressée aux scénarios de saint Charles Borromée et dont la belle-sœur était devenue carmélite. Cette seconde Flaminia était un bel esprit qui, entre deux représentations, composait des poèmes et qui fut accueillie à l'Académie de Bologne.»
À Modène
« Lelio dut commencer par représenter les pièces de ses prédécesseurs ; il ressuscita la Sofonisba de Trissino, adapta Lope de Vega, s'inspira de Cicognini, traduisit Racine, joua des œuvres de Martelli qui n'ignorait pas le poète français, fit triompher la Mérope de Maffei, essaya de relever la dignité du théâtre en composant des comédies en vers.(...)
Lelio représente à Modène un Samson où il déclarait avoir voulu répudier les règles, un Hercule où il se flattait de mêler « le grand et le risible ». Avant lui, dès 1670 Girolamo Graziano, dans un Cromuele — déjà — avait, dans sa préface, réclamé les libertés que revendiquera Hugo dans son Cromwell. Le Torrismondo du Tasse (1587) que Lelio met à la scène nous donne un avant-goût des horreurs qui feront trembler après 1770 les spectateurs du drame noir français. Le Coriolan de Pietro Pariati, où les acteurs déclament à l'unisson comme des chœurs d'opéra, nous fait penser à la poésie « panrythmique » que, vers 1910, préconisaient Fernand Divoire et Barzun. Lelio lui-même n'a-t-il pas dans ses tragédies introduit certaines habitudes chères à l'Opéra. On ne saurait exagérer l'influence que ce genre de spectacle exerça au XVIIe siècle sur les autres formes d'art, non seulement sur la musique et le théâtre, mais encore sur la peinture.
En France
En France, Lelio reprend des pièces jouées à Modène, tragi-comédies italiennes et espagnoles, ou comédies de son cru ; il parvient avec ses camarades à parler français ; il recourt à des auteurs aujourd'hui bien oubliés, Gueullette, Saint-Jorry, Autreau, de Lisle ; puis surviennent Marivaux et son interprète Silvia.
the muse of acting. The model is presumed Thalia to be Silvia Balletti
«Malgré les succès de Lelio et de Silvia, malgré leur naturalisation, malgré les représentations à la Cour, malgré le titre de Comédiens du Roi qu'ils reçurent après la mort du Régent, la compagnie connut des jours difficiles, dut faire des tournées en Angleterre et Lelio songea même à se retirer en Italie ; il y demeura un an (nov. 1730-nov. 1731) et examina la possibilité de rénover le théâtre de son pays natal.»
« Les historiens de la littérature découvriront en des pièces antérieures à celles de Nivelle de la Chaussée les premiers accès de sentimentalité. L'histoire même de la réconciliation de Flaminia et de Silvia narrée par Gueullette, avec les exclamations, les embrassades, semble tirée d'un roman larmoyant. (...) le drame bourgeois, trente ans avant Diderot, apparut sur la scène des comédiens italiens. Il n'est pas jusqu'aux idées philosophiques et révolutionnaires qui ne s'expriment par la voix d'Arlequin dans les pièces dues à de Lisle de la Drévetière.»
L' historien du théâtre
«A son retour en France il cessa de paraître sur la scène et devint directeur honoraire de la troupe. Son fils Lelio II lui succéda comme jeune premier et épousa celle qui allait devenir la romancière Mme Riccoboni. Luigi se transforma en auteur, en historien et théoricien du théâtre, publia volume sur volume, Histoire du théâtre italien, Dell'arte rappresentativa, Observations sur la comédie et sur te génie de Molière, Pensées sur la déclamation, Réflexions historiques et critiques sur les différents théâtres d'Europe, De la réformation du théâtre.»
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