La rencontre entre Diderot et l'auteur dramatique italien Carlo Goldoni, figure dans la troisième partie de ses Mémoires . On y voit l'opposition de deux personnages, l'auteur, plutôt bonhomme, jouant les modestes, s'armant de courage, et M. Diderot " qui ne peut se refuser à la politesse", mais comme un homme partagé entre l'indignation et la souffrance, victime d'une injustice, certaines pièces de son interlocuteur lui ayant causé "beaucoup de chagrin".
C'est par l'entremise du musicien Duni (ami commun) que cette rencontre aura lieu , elle devait mettre un terme à des "tracasseries littéraires". L'entretien se terminera sur des formulations d'amitiés réciproques.
Cela n'efface pourtant pas un jugement initial teinté d'amertume, exprimé par Goldoni avant le récit détaillé de l'entrevue " C'est le seul écrivain français qui ne m'ait pas honoré de sa bienveillance".
Ces Mémoires écrits vers les années 1780 font référence à des querelles datant des années 1760. Époque où Diderot théorise sur l'art dramatique par des lettres, des dialogues, des discours et des pièces, telles le Fils naturel et le Père de famille.
Apparaissent des accusations réciproques de plagiat, Diderot affirmant de son côté, que Goldoni avec sa pièce l'Avare, n'a fait que plagier Molière . Grimm, dans sa correspondance, ironise sur cet auteur italien de farces qui prétend réformer le théâtre.
En face , les anti-encyclopédistes. Fréron, notamment, avec son journal l'Année litteraire. exprime sa surprise, ou feint de découvrir, que le Fils naturel et le Père de famille, seraient copiés de Goldoni. Il pousse son avantage par la fiction d'une lettre de l'auteur italien dénonçant lui-même ces plagiats. Lequel n'en peut mais.
Goldoni, villégiature, la criée, marseille 2013 © DR
Par ailleurs, les Mémoires nous révèlent un trait de caractère du dramaturge italien, " J' ai été toute ma vie au-devant de ceux qui avaient des raisons bonnes ou mauvaises pour m'éviter", permettant d'éclairer à la fois l'insistance de Goldoni et la réticence de Diderot :
" J'étais fâché de voir un homme du plus grand mérite indisposé contre moi (...) Je tâchais de m'introduire dans des maisons où il allait habituellement ; je n'eus jamais le bonheur de le rencontrer . Enfin ennuyé d'attendre je forçai sa porte."
Il reste à indiquer les circonstances de la venue de Goldoni en France. Il entreprend ce voyage à la demande des comédiens italiens de Paris. S'ils en appellent au dramaturge, c"est dans l'espoir de sauver leur théâtre*. Le répertoire de la troupe n'ayant plus les faveurs du public.
Un historien fait état de cette situation : " les affaires de la Comédie Italienne devenaient fort embarrassées. Son répertoire italien s'usait; l'Hôtel de Bourgogne, menaçant ruine, réclamait des réparations urgentes; et elle avait 400.000 livres de dettes! " **
La mission devait être de courte durée, deux ans ; mais la suite des évènements fut toute autre, Carlo Goldoni ne devait plus revoir sa chère Italie.
* installé depuis 1715 à l'hôtel de Bourgogne. Il s'agit originellement de la troupe de Luigi Riccoboni,
**N.M. Bernardin, la comédie italienne en france et les théâtres de la foire et du boulevard (1570-1791) ed. de la revue bleue 1902 p.205
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