ARLEQUIN ROY DE SERENDIB
Pièce en trois Actes
Par M. le S**
Représentée à la Foire de Saint Germain 1713
Argument
" Arlequin fait naufrage sur les côtes de l'île de Serendib où il est d'usage de faire roi, pour quelques instants, tout étranger qui y aborde et que l'on sacrifie ensuite au dieu Kesaïa. Arlequin, après avoir reçu les honneurs de la Royauté, est près d'être immolé à l'Idole, mais l'Auteur le tire de ce mauvais pas en terminant sa pièce par la parodie de l'Opéra d' Iphigénie en Tauride, commencé par Duchet et Desmarest, et fini par Duchet et Campra, et qui fut représentée en 1704. »*
*Petite bibliothèque des théâtres tome xxv, chez Belin/Brunet, Paris MDCCLXXXIX
image ed. Genets 1821
ACTEURS
ARLEQUIN, Roi de Serendib
MEZZETIN, en Grande Prêtresse
Pierrot, en Suivante de Mezzetin
Le GRAND VISIR
Le GRAND SACRIFICATEUR
SUITE du Grand Sacrificateur
TROUPE de Prêtresses
TROUPE de femmes du Sérail
Le CHEF des Eunuques
TROUPE d'Officiers du Palais
Un PEINTRE
Un MEDECIN
TROUPE de Voleurs, avec leurs femmes.
La scène est dans l'île de Serendib.
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Arlequin Serendib Acte I Scènes I-II
ACTE PREMIER
Le théâtre représente une solitude où l'on voit des rochers escarpés
SCENE PREMIERE.
ARLEQUIN , seul.
Arlequin, après avoir fait naufrage sur la côte de Serendib, s'avance dans l'île. Il tient une bourse, et parait un peu consolé de sa disgrâce. Ce qu'il exprime par un écriteau *qui contient ces paroles :
AIR 001 Je laisse à la fortune ou Reveillez-vous, belle endormie
Auprès de ce rivage,
Hélas! notre vaisseau
Avec tout l'équipage
Vient de fondre sous l'eau!
Un procureur du Maine
Dans la liquide plaine
A trouvé son tombeau ;
Moy, grace à mon génie,
J'ai su sauver ma vie,
Et l'argent du manseau.
* Les écriteaux étaient une espèce de cartouche de toile roulée sur un bâton, et dans lequel était écrit en gros caracteres le couplet, avec le nom du personnage qui aurait dû le chanter. L'écriteau descendoit du cintre, et était porté par deux enfants habillés en Amours, qui le tenaient en support. Les enfants suspendus en l'air par le moyen des contrepoids, déroulaient l'écriteau ; l'orchestre jouait aussitôt l'air du couplet et donnait le ton aux spectateurs, qui chantaient eux-mêmes ce qu'ils voyaient écrit, pendant que les acteurs y accomodaient leurs gestes. (note des auteurs) ______ Ce couplet chanté, il s'assied à terre et se met à compter son argent. Tandis qu'il est dans cette occupation, il arrive un homme qui a un emplâtre sur l'oeil et une carabine sur l'épaule. Cet homme fait plusieurs révérences à Arlequin,qui,se défiant de tant de civilités, dit à part par un écriteau :
AIR OO2 Quand le péril est agréable ou En vain, la fortune ennemie
Ouf ! je crains fort pour ma finance :
Ce drôle a tout l'air d'un Voleur,
Le gésier me bondit de peur
A chaque réverence.
L'homme pose son turban à terre, fait signe à Arlequin de jeter de l'argent dedans, et le couche en joue, en criant : Gnaff, Gnaff . Arlequin effrayé jette plusieurs pièces dans le turban. Le Voleur se retire, et dans le moment il en parait un autre qui a le bras gauche en écharpe, une jambe de bois et un large coutelas au côté. Celui-ci fait aussi des réverences à Arlequin qui dit toujours à part :
AIR OO3 Quand je tiens de ce jus d'Octobre ou Je l'ai planté, je l'ai vu naître Quel autre homme s'offre à ma vue ?,
Il est manchot ! Oui, justement,
C'est un fripon, il me salue ;
C'est du gnaff, gnaff, assurément.
Le second Voleur met aussi à terre son turban, et tirant son coutelas, fait signe à Arlequin d'y jeter de l'argent, en lui disant : Gniff, Gniff.. Il obéit, et le Voleur s'en va. Arlequin après cela, croyant en être quitte, pose sa bourse à terre derrière lui ; mais un troisième brigand en cul- de- jatte, portant un pistolet à la ceinture, parait et s'empare subtilement de la bourse. Arlequin s'en apperçoit, et se lève pour la lui ôter. Le cul-de-jatte lui présente le bout de son pistolet en criant :Gnaff,Gnaff. Arlequin désespérant de r'avoir sa bourse, dit au Voleur
AIR OO4 O reguingué, ô lon-lan-la
Cette bourse porte malheur ;
Elle me vient d'un Procureur,
Et va de Voleur en Voleur :
Craignez, Monsieur, que la Justice
A son tour ne vous la ravisse;
On voit revenir les deux premiers Voleurs qui se défont, l'un de son emplâtre, l'autre de sa jambe de bois, le troisième sort de sa jatte, et tous se mettent à danser autour d'Arlequin. Dans le même temps il parait une charrette tirée par un âne, et conduite par un Sauvage qui tient à la main une grosse massue . Il y a dans la charrette une table, deux bancs, un piédestal, des peaux de bouc et un tonneau. Pendant qu'au fond du théâtre quelques Voleurs s'occupent à décharger la charrette, trois autres s'avancent et dansent avec trois jolies femmes de leur compagnie. Leur danse est coupée par ces deux couplets.
UN VOLEUR AIR 005 Pierrot se plaint que sa femme
Nous menons joyeuse vie ;
Sans débat nous vivons tous.
Des grandes villes bannie
L'équité vient avec nous :
Jamais d'envie ;
Chacun ne fait les yeux doux
Qu'à sa Sylvie.
UNE DES FEMMES
(même Air.)
Nous ressemblons aux pucelles
Qui jadis couraient les champs ;
Toujours compagnes fidèles
De nos chevaliers errants,
Comme ces belles ;
Mais nous passons notre temps
Beaucoup mieux qu'elles.
Après la danse les trois Voleurs qui ont volé Arlequin dressent une table, sur laquelle ils tendent des peaux. Ils mettent ensuite des provisions dessus. On voit au milieu de la table le tonneau sur le piédestal. Il est posé de manière qu'on juge bien qu'il n'y a presque plus rien dedans. Ils se mettent tous à table, et ils obligent Arlequin à s'asseoir auprès d'eux, ce qu'il fait volontiers. Ils boivent tous dans des cruches et des gobelets de terre, qu'ils tendent sous le robinet du tonneau. Arlequin, après avoir bu quelques coups veut cajoler une des femmes qui est auprès de lui, mais le cul-de-jatte lui présente le bout de son pistolet, et lui fait faire la culbute. Le repas fini, ils se lèvent de table, replient leurs peaux, et les remettent dans la charrette, avec les bancs et la table. Pour le tonneau, comme il est vide, ils le jettent par terre, et l'y laissent. Puis la charrette part, et il ne reste plus sur la scène qu'Arlequin avec les trois premiers Voleurs Ils veulent décider de son sort, ce qu'ils font connaitre par ce couplet
UN VOLEUR AIR 006 Grimaudin ou Guillot auprès de Guillemette:
Or sus, amis, qu'on délibère
Sur son destin,
Qu'en pensez-vous ? Que faut-il faire
De ce faquin ?
Si nous ne le faisons mourir,
Il pourra bien nous découvrir.
Alors, celui qui a un coutelas le tire pour en frapper Arlequin qui se met à genoux pour demander grâce. Un des Voleurs s'oppose au dessein de son camarade et lui dit :
UN DES VOLEURS
(Air précedent)
Ne frappez point ce pauvre diable,
Ami, tout beau ;
Mettons plûtôt ce misérable
Dans le tonneau ;
Des loups dont ce désert est plein,
Il fera bientôt le butin.
Les voleurs prennent le tonneau, le défoncent, y mettent Arlequin, et s'en vont, après avoir remis les fonds. Arlequin se voyant sans espérance de salut, pleure, crie, en roulant son tonneau. il vient un loup affamé qui cherche de la pâture. Il va flairer le tonneau, et comme il y sent de la chair fraîche, il fait tous ses efforts pour en briser les douves. Pendant qu'il s'y prend de toutes les manières, Arlequin passe la main par le trou de la bonde, attrappe la queue du loup, qui se voyant saisi, a peur et veut prendre la fuite ; mais en tirant le tonneau, sa queue reste entre les mains d'Arlequin, et dans le moment le tonneau se partage en deux. Le loup se sauve d'un côté et Arlequin de l'autre.
Le théâtre change en cet endroit, et représente la capitale de l'île
Mezzetin habillé en Grande Prêtresse de l'Idole qu'on y adore vient avec Pierrot sa confidente faire des réflexions sur la coutume de l'île, et sur l'état de leurs affaires.
SCENE II
MEZZETIN en Grande Prêtresse, et PIERROT en Confidente.
MEZZETIN
AIR 007 Menuet de M. de Grandval ou Tu croyais en aimant Colette
Détestons ce fatal rivage,
Où nous vivons depuis trois mois ;
Pierrot de ce climat sauvage
Maudissons les cruelles lois AIR 008 Je ne suis pas si diable ou O ma tendre musette
Tous les mois sur le trône
L'on place un étranger ;
Mais, ciel ! on le couronne,
Pourquoi ? pour l'égorger !
Au temple d'une Idole,
Qu'on nomme Késaïa,
Il faut que je l'immole
A ce Dieu-là.
PIERROT AIR 009 Du Cap de Bonne-Espérance ou Livrons-nous à la tendresse.
Nous fîmes bien, sur mon âme,
En arrivant Mezzetin,
De prendre un habit de femme,
Pour fuir un pareil destin;
Le Grand Visir vous crut fille ;
Il vous trouva bien gentille,
Et vous fit, pour vos beaux yeux,
Grande Prêtresse en ces lieux.
MEZZETIN AIR 010 Ne m'entendez-vous pas?
Oui ; mais Pierrot, hélas !
Que je crains sa tendresse !
Tous les jours il me presse....
Tu vois mon embarras,
Que n'ai-je moins d' appas !
PIERROT AIR 011 Le fameux Diogène
Ah ! cessez de vous plaindre !
C'est au Visir à craindre ;
Vous savez que la loi
Veut qu'il perde la vie,
Si, lorsqu'on sacrifie
Serendib est sans Roi.
ARLEQUIN AIR 012 Réveillez-vous, belle endormie
Ce soir on fait le sacrifice ;
Il n'est point venu d'Etranger.
MEZZETIN
Il faut que le Visir périsse.
PIERROT
Préparez-vous à l'égorger.
Mezzetin parait se consoler, et marque par ses gestes qu'il immolera de bon coeur le Grand Visir à l'Idole. Mais il ne jouit pas long temps de la douceur de cette pensée. Ce Ministre arrive, et lui dit avec beaucoup de joie :
Arlequin Serendib I- III à VI
SCENE III
MEZZETIN, PIERROT, le GRAND VISIR
Le GRAND VISIR AIR 013 Voulez-vous savoir qui des deux ou Monsieur le prevôt des marchands
Cessez de craindre pour mes jours ;
Charmant objet de mes amours, De la mort me voilà sauvé ;
Ma Reine, ayez l'esprit tranquille,
Un étranger dans cette ville
En ce moment est arrivé.
MEZZETIN, à part
AIR 014 Dans notre village ou Un berger sincère
Que viens-je d'entendre !
Quel coup, justes Dieux !
Le Gr. VISIR
Bientôt dans ces lieux
Ce misérable va se rendre ;
On va l'amener
Pour le couronner.
Comme Mezzetin parait triste, le visir lui dit : AIR 015 Si dans le mal qui me possède ou Il n'est qu'un pas du mal au bien
Mais comment ! A cette nouvelle,
Vous paraissez vous affliger !
MEZZETIN
Seigneur, je plains cet étranger
Le Gr. VISIR
Non, non. dîtes plutôt, cruelle,
Que vous attendiez le trépas
D'un amant que vous n'aimez pas.
MEZZETIN, soupirant
Ah !
Le Grand VISIR AIR016 Je reviendrai demain au soir
Dès demain, madame, je veux
Voir couronner mes feux bis,
Je n'aime point tous ces soupirs ;
Il me faut des plaisirs bis,
Le Visir sort pour aller au-devant du nouveau roi, et Mezzetin frappé de ce qu'il vient d'entendre, ditSCENE IV
MEZZETIN, PIERROT
MEZZETIN AIR 017( Les Trembleurs d'Isis )
Il veut, dit-il, sans remise...
Pierrot, tu vois ma surprise...
Ce jour est un jour de crise ;
Ma foi, je crains pour ma peau,
PIERROT
Songeons à faire retraite ;
Par une porte secrète
Sortons d'ici sans trompette ;
Assurons-nous d'un vaisseau.
(ils sortent)
SCENE V
ARLEQUIN, le GRAND VISIR, le CHEF des Eunuques,Troupe d' Officiers du Palais, et de Sacrificateurs
Mezzetin et Pierrot sont à peine sortis, qu'on entend un grand bruit de fifres, de timbales et de trompettes. En même temps on voit arriver Arlequin porté sur les épaules de quatre hommes. Des joueurs d'instruments commencent la marche. Ils sont suivis de six Officiers du Palais, le grand Visir une hache à la main et le chef des eunuques aident au Roi à descendre. Il leur donne sur les mains et sur le visage de la queue de loup qu'il a arrachée. Dès qu'il est descendu, le Grand Visir lui dit :
AIR 018 ou Lanturlu
Régnez dans notre île
Jusques à la mort.
ARLEQUIN
Votre humeur civile,
Messieurs, me plaît fort
Le Gr. VISIR
Sur toute la ville
Votre empire est absolu
ARLEQUIN
Lanturlu,lanturlu, lanturelu,
(même air)
Puisque sur le trône
Vous m'avez placé,
Vite je l'ordonne,
Le buffet dressé ;
Sans quoi la couronne
Pour moi vaut moins qu'un fêtu
Lanturlu, lanturlu, lanturelu.
SCENE V I
ARLEQUIN, le GRAND SACRIFICATEUR, et ses suivants.
Le Grand Sacrificateur et ses suivants se laissent tomber sur le cul ; Arlequin fait la même chose. Ils se relèvent. Alors le Grand Sacrificateur prend un livre, il lit, et les suivants répondent.
Le Gr. SACRIFICATEUR lentement
Basileos, alifi, agogi, aformi;
Les SUIVANS
Basileos
Le Gr. SACRIFICATEUR, plus vite
Bibli, bondromi, bebrofi
Les SUIVANS
Basileos
ARLEQUIN, arrachant un poil de la barbe du Gr. Sacrificateur
Basileos
Le Gr. SACRIFICATEUR, très vite
Mieno, mileo, mileni, maliski
Les SUIVANS
Basileos
ARLEQUIN, lui passant la queuë de Loup sous le nez
Basileos
Kecaca
Les SUIVANS
Tragizo, trapeza, porphyra, Kecaca
Le Gr. SACRIFICATEUR posant le turban royal sur la tête d'Arlequin
Basileos
ARLEQUIN, crachant au visage du Gr. Sacrificateur
Basileos
Les SUIVANS
Tou crizou, i crizi, tiptomen, tiptete, tiptoussi
Le Gr. SACRIFICATEUR
Basileos
Les SUIVANS
Pollaxi, Piretos, pephili, pepomfi
Le Gr. SACRIFICATEUR, lentement Le Gr. SACRIFICATEUR
Porphyra, pisma, Kecaca
Les SUIVANS
Kecaca
Arlequin, qui croit par ce dernier mot que le Grand Sacrificateur et ses suivants lui disent qu'il est de la cérémonie de se servir de son turban comme d'un pot de chambre, se met en devoir de leur obéir ; mais ils font tous un cri d'indignation. Le Grand Sacrificateur remet le turban sur la tête d'Arlequin. Ils remportent leur Roi, et par-là finit le premier acte.
Fin du premier Acte
Arlequin Serendib Acte II- I à IV
ACTE II
Le theâtre represente le plus bel appartement du Sérail
SCENE PREMIERE
ARLEQUIN, avec son turban Royal, et un tonnelet
.Un CUISINIER
ARLEQUIN AIR 019 Mon père, je viens devant vous ou Je suis encor dans mon printemps (d'une Folie )
Oui. Votre Prince est très content
De vos ragoûts, de vos potages;
Allez dire à mon Intendant
Qu'aujourd'huy je double vos gages;
Je viens de faire un bon repas ;
Mais qu'un second ne tarde pas.
SCENE II
ARLEQUIN, le CHEF des Eunuques, Un PEINTRE
Le CHEF des Eunuques AIR 020 Qu'on apporte bouteille
Voici le Peintre habile,
Qui vient, suivant les loix,
Seigneur, tous les mois dans cette Isle
Faire le portrait de nos Rois.
Le Peintre est un homme qui paroît agé de cent ans. Il s'appuie sur un bâton, et ne marche qu'avec beaucoup de peine. Il a sur le dos son chevalet et une grande toile pour faire le portrait du Roi. Arlequin se met à rire en le voyant, et se moque de lui. le peintre s'en apercevant, lui dit :
LE PEINTRE AIR 021 Quand le péril est agréable ou En vain, la fortune ennemie
Depuis cent ans dans cette Ville
Je peins les princes trait pour trait
Sachez que j'ai fait le portrait
Du premier Roy de l'Isle.
ARLEQUIN
selon Genets : même air 021 ou Amis, sans regretter Paris
Bon-homme, je crois en effet,
Que vous l'avez pu faire ;
Vous pourriez bien même avoir fait
Celui du premier Père
Le Peintre dresse son chevalet, et pose sa toile dessus. Il place dans un fauteuil Arlequin, qui se lève aussitôt, et se tient les pieds en haut. Le Peintre met ses lunettes, et s'apercevant de la situation où est Arlequin, il lui fait signe de se tenir debout auprès de lui. Arlequin, dès que le Peintre a le dos tourné, lui tourne aussi le dos, en se mettant la tête en bas, et se tenant sur ses mains. Le Peintre vient pour l'examiner, et pose sa tête entre les jambes d'Arlequin, qui lui fait tomber son chapeau et ses lunettes. Le Peintre le fait mettre derriere son chevalet de sorte qu'Arlequin a le menton sur la toile. Il fait tomber son turban sur la main du Peintre. Cependant, malgré tous les lazzis d'Arlequin, la toile étant enduite de blanc d'Espagne, le Peintre ne fait que la froter, et le portrait d'Arlequin, qui est dessous, se découvre. Il le montre au nouveau Roi, en lui disant d'un air de confiance :
LE PEINTRE AIR 022 La faridondaine
Vous voyez qu'il ne manque rien,
Seigneur, à mon ouvrage ;
A cent ans je peins aussi bien
Qu'à la fleur de mon âge.
ARLEQUIN
Je suis content de toi, barbon
LE PEINTRE, s'applaudissant
La faridondaine, la faridondon.
ARLEQUIN
De moi tu le seras aussi,
Biribi,
A la façon de barbari,
Mon ami.
LE PEINTRE AIR 023 Laire-la, laire lan-laire
J'aurais besoin de vos bienfaits.
ARLEQUIN
Au premier jour je te promets
Une pension viagere.
LE PEINTRE
Laire-la, laire lan-laire,
Laire-la,
Laire lan-la.
SCENE III
ARLEQUIN, le CHEF des Eunuques, le Gr. VISIR, les trois VOLEURS qui ont volé Arlequin.
Le Gr. VISIR, AIR 024 Ttu croyais en aimant Colette ou Réveillez-vous, belle endormie
On vient de prendre dans la plaine,
Seigneur, par mes soins vigilans,
Trois Voleurs que je vous amene,
Jugez vous-même ces brigands.
Arlequin demande à les voir. Ils entrent. Il reconnait en eux les trois fripons qui l'ont volé. Il s'écrie : Ah ! gnaff, gniff, gnoff. Les Voleurs le reconnaissant aussi, se jettent à ses pieds pour lui demander grâce ; mais Arlequin ôte son turban, le pose à terre devant eux, et fait tous les gestes qu'il leur a vû faire. Ensuite il les frappe de sa batte. Le Visir ennuyé de ses lazzis, lui dit :
Le Gr. VISIR, AIR 025 Quel plaisir de voir Claudine ou Si vous sentez dans vos âmes
Hé bien, rendez donc justice,
Mais craignez d'être trop doux,
A quel genre de supplice,
Seigneur, les condamnez-vous ?
ARLEQUIN, AIR 002 Quand le péril est agréable ou En vain, la fortune ennemie
Je veux qu'on branche ces compères ;
Qu'on les houspille tant et plus ;
Après qu'on les aura pendus,
Qu'on les amène aux galères.
Le Gr. Visir emmene les trois Voleurs et Arlequin demeure avec le Chef des Eunuques.
SCENE IV
ARLEQUIN, le CHEF des Eunuques.
ARLEQUIN, AIR 026 Et zon zon zon, Lisette, ma Lisette
Toi, dont ici l'emploi
Est de garder les filles,
Di-moi de bonne foi,
En as-tu de gentilles ?
Et zon, zon, zon
Lisette, la Lisette,
Et zon, zon,zon,
Lisette, la Lison.
Le CHEF des Eunuques. AIR 027 Comme un coucou que l'amour presse ou Jupiter, prête-moi ta foudre
Je vais vous en montrer l'élite
Seigneur, dans cet apartement.
Vous aurez une Favorite,
Si vous voulez dans un moment.
ARLEQUIN, AIR 028 Allons gai, d'un air gai
Oui. Vite une maîtresse.
Ma foy, je suis ,enclin,
Ami, je le confesse,
Au sexe feminin.
Allons gai,
D'un air gai, &c.
(le chef des Eunuques sort )
Arlequin Serendib Acte II- V à VII
SCENE V
ARLEQUIN, seul AIR 029 Les pauvres filles gagnent peu ou Le curé de Pompone
Ah ! Qu'il est doux d'être aujourd'hui
Un homme d'importance !
Mere, époux rampent devant lui ;
Et s'il veut voir Hortense,
Il n'a qu'à tinter,
Il n'a qu'à compter,
Et la mignonne s'avance.
SCENE VI
ARLEQUIN, le CHEF des Eunuques, TROUPE d'Esclaves.
Le Chef des Eunuques revient avec six Esclaves qui dansent autour du fauteuil, où le Roi s'est assis en les attendant. Elles agacent toutes Arlequin d'une manière différente. Il leur fait des mines en Petit-maître. Puis il tire son mouchoir pour le jeter à celle qu'il choisira; dans le temps qu'il veut le jeter à l'une, il est tenté de le jeter à l'autre ; ce qui lui fait dire :
ARLEQUIN AIR 018 Lanturlu
Quand l'une m'agace,
Quand j'en suis blessé,
A l'autre je passe
Comme un insensé ;
Le choix m'embarasse :
Je suis un Irrésolu*
Lanturlu, lanturlu, lanturelu.
* On jouoit en ce tems-là, la Comédie de l'Irrésolu qui n'a pas réussi, parce que le caractère de l'Irrésolu étoit plutôt d'un Fou que d'un esprit incertain.
Enfin Arlequin met deux Esclaves à part. Les autres aussitôt se retirent. Il balance quelque temps, puis il se détermine. L'Esclave qui n'a pas eu la préférence sort. Mais à peine a-t-il fait un choix qu'il s'en repent, ce qu'il exprime par ce couplet :
ARLEQUIN, à la Favorite.
AIR 030 On dit qu'Amour est si charmant
Vos beaux yeux forcent votre Roi
A suivre une amoureuse loi;
Belle Iris, recevez ma foi,
En me donnant la vôtre...
(à part )
Palsanbleu ! J'aurais, je le crois
Mieux fait de prendre l'autre.
AIR 024 Ttu croyais en aimant Colette ou Réveillez-vous, belle endormie ( à la Cantonade)
Tôt,tôt,tôt, qu'on dresse une table,
Qu'on me la couvre de perdrix;
(à la Favorite )
Buvons. Prenez, mon adorable,
L'esprit des Dames de Paris.
L' ESCLAVE Favorite AIR 012 Réveillez-vous, belle endormie
Je ne dois songer qu'à vous plaire ;
Mais, helas ! Seigneur, je crains bien
Que l'amour de la bonne chere...
ARLEQUIN
Allez. Cela ne gâte rien. AIR 025 Quel plaisir de voir Claudine ou Si vous sentez dans vos âmes
Je porterai mon hommage
De la table à vos beaux yeux ;
Ne craignez point ce partage ;
J'en aimerai trois fois mieux.
Pendant ce temps-là, les Officiers s'occupent à dresser une table. Ils la couvrent d'une nappe & y mettent deux couverts. Cela fait, Arlequin prend l'Esclave par la main, la place à un bout de la table, et va se mettre à l'autre. Ils prennent chacun un couteau, puis tout à coup, à l'imitation de Corésus & de Callirhoë, qu'on jouait en ce temps -là, ils se donnent la foi par ce couplet parodié de cet Opéra :
Sur ces couverts, sur cette nappe blanche,
Sur cet autel redoutable aux poulets,
Par ce couteau la terreur de l'éclanche,
Je fais serment d'être à vous à jamais.
L'Esclave s'évanouit comme Callirhoë . Arlequin vole à son secours ; il l'embrasse ; elle revient. Arlequin pose ses pieds sur la table, et frape de temps en temps avec le manche de son couteau. Il siffle même quelquefois pour faire venir les Officiers. Dès qu'il les voit paraître avec leurs plats, il se lève, court au-devant d'eux, et met la main dans les sauces, prend et mange sans songer que c'est pour lui qu'on apporte ces mets. Enfin il se remet à table, et se dispose à bien manger ; mais le Medecin arrive, et lui dit :
SCENE V I I
ARLEQUIN, l'ESCLAVE Favorite, le MEDECIN, les OFFICIERS.
Le MEDECIN AIR 032 On n'aime point dans nos fôrets ou Chantez, dansez amusez-vous
Quoy, Seigneur, vous mangez encor ?
C'est trop exposer votre vie;
ARLEQUIN, en colere
Que nous vient chanter ce butor ?
Le MEDECIN, voulant ôter les plats
Ces plats sentent l'apoplexie
ARLEQUIN, donnant un coup de poing au Médecin.
Laisse- là mes plats, Médecin ;
Tu ne dois sentir qu'un bassin.
Le Médecin, sans avoir égard à ce qui peut plaire ou déplaire à Arlequin, fait ôter les plats à mesure qu'il y porte la main, sous prétexte que ce sont des mets nuisibles à sa santé ; ce qu'il explique par ses gestes. Mais la patience échappe à Arlequin, qui lui dit :
AIR 033 Ma mère, mariez-moi
Retire-toi, bâteleur.
*Veux-tu nous porter malheur ?
Chacun en te voyant là,
Va dire : Fi donc ! Qu'est-ce que cela ?
Chacun en te voyant là,
Croira voir Sancho Pança;
*On venait de jouer la Comédie de Sancho Pança qui n'avait pas réussi.
Arlequin continue à vouloir manger, et le Medecin à lui enlever les plats. Arlequin prend une talemouse, mord dedans, le Médecin lui en arrache la moitié, l'autre demeure dans la bouche. Alors Arlequin outré de colere se saisit d'un plat de crême, et l'applique sur le visage du Docteur. Ce qui finit le repas et le second Acte.
Fin du deuxième Acte.
Arlequin Serendib Acte III- I à V
ACTE I I I
Le theâtre represente le même appartement qu'au second Acte
SCENE PREMIERE
ARLEQUIN, le CHEF des Eunuques
ARLEQUIN, AIR 034 Ah! vraiment, je m'y connais bien ou A boire, à boire, à boire
Mon cher, dois-je, toujours fidèle;
Ne cajoler que même Belle ?
Ventrebleu ! j'en enragerais,
Moi qui suis là-dessus Français
le CHEF des Eunuques
AIR 035 Faire l'amour la nuit et le jour
A l'infidelité
La loi n'est point contraire ;
A plus d'une beauté :
Seigneur, vous pourriez faire
L'amour
La nuit et le jour
AIR 036 Je ne suis né ni roi ni prince ou De tous les capucins du monde
Mais il faut que je vous présente
Une Grecque toute charmante,
Que jamais Venus n'égala.
ARLEQUIN
La peste ! Ce portrait me touche !
Tu me gardois donc celle-là,
Vieux coquin, pour la bonne bouche ?
(Le Chef des Eunuques va chercher la Grecque.)
SCENE I I
ARLEQUIN, seul AIR 037 La bonne aventure, ô gué
Moi, qui devois des turbots
Estre la pâture
Je trouve échappé des flots,
Les jeux, les ris, le repos ;
La bonne aventure,
O gué,
La bonne aventure !
SCENE I I I
ARLEQUIN, le CHEF des Eunuques, L'ESCLAVE Grecque.
Le CHEF des Eunuques, AIR 013 Voulez-vous savoir qui des deux ou Monsieur le prevôt des marchands
Seigneur, Vous voyez la beauté....
ARLEQUIN
Ah ! tu m'as dit la verité !
Je n'ai rien vu qu'elle n'efface.
Tudieu ! Qu'elle a l'oeil assassin !
Sors, et ne laisse point, de grâce,
Entrer ici le Médecin.
(Le Chef des Eunuques sort.)
SCENE I V
ARLEQUIN, la GRECQUE.
L'Esclave Grecque se voyant seule avec le nouveau Roi, lui fait des minauderies, et lui dit :
Après ce couplet de jargon, Arlequin rit avec l'Esclave,
qui fait tout ce qu'elle lui voit faire. Il en est charmé, et lui dit :
ARLEQUIN AIR 024 Tu croyais en aimant Colette ou Réveillez-vous, belle endormie
Doucement, petite égrillarde.
Ahi, ahi, ahi, ahi ! Ouf ! Hoïmé !
Ah ! C'en est fait ! Déjà, pendarde,
Mon pauvre coeur est empaumé.
La GRECQUE. AIR 039 Dondaine, dondaine.
Seigneur, ne vous plaignez point tant, bis
Vous m'en avez fait tout autant,
Dondaine, dondaine,
Je sens qu'un doux penchant
Vers vous m'entraine.
Arlequin enchanté de ces paroles, veut embrasser la Grecque ;
mais le Grand Visir vient l'interrompre. Ce Ministre est suivi de
deux Sacrificateurs qui apportent l'habit de Victime.
SCENE V
ARLEQUIN, La GRECQUE, le Gr.VISIR, trois SACRIFICATEURS
Le Gr.VISIR, AIR 003 Quand je tiens de ce jus d'Octobre ou Je l'ai planté, je l'ai vu naître
De votre glorieux supplice
Je viens vous annoncer l'instant.
Tout est prêt pour le sacrifice ;
Venez, Seigneur ; on vous attend.
Le nouveau Roi paroît fort étonné de ce compliment.
Le Grand Visir lui parle à l'oreille, et l'instruit de la loi.
Arlequin n'est pas plutôt au fait, qu'il s'abandonne à la douleur.
ARLEQUIN AIR 040 Or écoutez, petits et grands ( Air des pendus )
C'est donc pour répandre mon sang
Qu'on m' a mis dans un si haut rang !
Le sort me gardait pour Victime ;
C'était son dernier coup de lime.
Mes pleurs, puisqu'on va m'immoler,
Coulez, hâtez-vous de couler.* *C'est un Vers de l'Opera de Callirhoë
Les Sacrificateurs dépouillent Arlequin de son habillement de Prince,
et commencent à le revêtir d'un habit de Victime tout parsemé de pierreries.
Pendant qu'ils le déshabillent, il met la main dans la poche du Grand Sacrificateur,
et lui dérobe sa bourse, par l'habitude qu'il a de voler ; mais, à peine a-t-il fait le
coup, que se souvenant qu'il va perdre la vie, il jette la bourse, en faisant connaitre
par ses gestes que ce vol lui est inutile; Il pleure, et se désespère. Le Grand Sacrificateur,
choqué de la répugnance que le nouveau Roi parait avoir pour le sacrifice, lu dit d'un air indigné :
Le Gr. SACRIFICATEUR AIR 041 Menuet d' Hésione ou Sous un ciel pur et sans nuages ( de Ninon chez madame de Sévigné)
Vous allez mourir pour l'Idole ;
Vous êtes couvert de bijoux ;
D'un mortel qu'ainsi l'on immole
Le sort doit faire des jaloux.
ARLEQUIN
(Même air )
Monsieur le Grand Prêtre, de grâce,
Si ce destin vous paroît doux,
Vous n'avez qu'à prendre ma place,
Le Gr. SACRIFICATEUR, baissant les yeux d'un air hypocrite.
Cet honneur n'est point fait pour nous.
Pendant ce temps-là, l'Esclave Grecque qui a son mouchoir à la main pousse des cris,
et fait toutes les démonstrations d'une amante désesperée. Enfin, Arlequin s'approche
d'elle et lui dit :
ARLEQUIN AIR 019 Mon père, je viens devant vous ou Je suis encor dans mon printemps ( d'une Folie )
Je vais remplir mon triste sort ;
Il faut partir, chère mignonne ;
On va me conduire à la mort :
Mais, hélas ! avec vous, bouchonne,
Je n'ai folâtré qu'un instant !
Est-ce assez pour mourir content ?
LA GRECQUE AIR 042 Comme un coucou que l'amour presse ou Jupiter, prête-moi ta foudre
Connoissez toute ma tendresse :
Je cours à l'Autel avec vous.
Allons. Il faut que la Prêtresse
D'une pierre fasse deux coups.
Arlequin en cet endroit fait tous les gestes d'un Héros de Théâtre
qui s'afflige sans modération. Ensuite il dit :
ARLEQUIN AIR 043 Nous sommes demi-douzaine
Ma douleur se renouvelle
Par ces amoureux discours.
O fortune cruelle !
Soûle-toi de mes jours.
ARLEQUIN & La GRECQUE (ensemble)
Hélas !, hélas ! une chaîne si belle
Devoit durer toujours.
Arlequin s'arrache avec violence des bras de l'Esclave qui le retient.
Il suit les Sacrificareurs. la Grecque redouble ses cris, et cependant
sort par la coulisse opposée à celle par où les Prêtres emmènent Arlequin.
Le théâtre change, et représente la Pagode ou Temple de l' Idole dont la
porte est fermée. On voit la mer dans le lointain. Le Grand Sacrificateur
et la Grande Prêtresse avec sa Confidente, viennent chanter la gloire de Késaya.
Arlequin Serendib Acte III- VI à VIII
SCENE V I
Le GRAND SACRIFICATEUR, MEZZETIN en Grande Prêtresse, PIERROT, sa Confidente.
Le Gr. SACRIFICATEUR AIR 044 J'entends déjà le bruit des armes ou Tout roule aujourd'hui dans le monde
Célébrons la gloire immortelle
Du grand Késaya par nos chants
Ranimons ici notre zèle
Pour chanter ses soins bienfaisants :
Il donne une face nouvelle
A nos campagnes tous les ans.
Le Gr. Sacrificateur,après avoir chanté son couplet, se retire, et la Grande Prêtresse continue avec sa suivante.
MEZZETIN
(Air précédent)
C'est lui qui fait la pimprenelle ;
De chardons il pare nos champs ;
C'est lui qui, quand l'hiver nous gêle
Retarde les jours du Printemps ;
C'est lui qui fait tomber la grêle,
Quand nous demandons du beau temps.
PIERROT
(même Air)
C'est lui qu'implorent nos Vestales,
Pour sortir des mains des Tuteurs ;
C'est lui dont les faveurs vénales
Trouvent mille et mille acheteurs,
Ce qui fait bouillir les timbales
De tous nos Sacrificateurs.
Mezzetin et Pierrot se retirent aussi dans le fond de la Pagode dont la porte s'ouvre. On voit l'Idole sur un trône élevé de quatre à cinq marches. Les Sacrificateurs amènent la Victime parée de guirlandes de fleurs. Ils lui font faire le tour du theâtre. Ensuite, ils l'obligent à se mettre à genoux sur le premier degré du trône, où ils le laissent, pour former des danses avec les Prêtresses . Après quoi le Grand Sacrificateur s'avance sur le devant du théâtre, et dit :
SCENE V I I
MEZZETIN, PIERROT, ARLEQUIN, TROUPE de Sacrificateurs et de Prêtresses;
Le Gr. SACRIFICATEUR. AIR 024 Réveillez-vous, belle endormie
Le Dieu fait sentir sa présence.
Dans un moment il va parler.
Les Ruisseaux gardent le silence ;
Les Arbres n'osent pas branler.
Après ce couplet, Mezzetin Grande Prêtresse sort de derrière l'Idole le poignard levé, et s'approche d' Arlequin pour le frapper * Mais il croit reconnaitre ses traits ; il s'arrête ; et tout à coup, s'adressant aux sacrificateurs et aux Prêtresses, il leur dit :
* Depuis cet endroit jusqu'à la fin, tout est une parodie de l'Opera d'Iphigénie.
MEZZETIN AIR 017 ( Les) Trembleurs
Tremblez, Mortels. Qu'on m'entende.
Késaya parle, il commande
Sachez qu'il veut qu'on suspende
Ce sacrifice aujourd'hui ;
Que mon couteau redoutable
Demain verse un sang coupable,
Laissez-moi ce pauvre diable,
Allez. Je réponds de lui.
Tous les acteurs qui sont sur la Scene sortent, excepté Arlequin, la Grande Prêtresse et la Confidente
SCENE V I I I & derniere
MEZZETIN, ARLEQUIN, PIERROT.
MEZZETIN,
Il prend la Victime par la main, l'aide à se relever, & lui dit :
AIR 031 Folies d'Espagne ( des )
Dans quel climat avez-vous pris naissance ?
Jeune Etranger, parlez, dites-le nous.
Je veux ici prendre votre défense.
Et vous sauver moi-même de mes coups.
ARLEQUIN
(même Air )
Vous demandez le nom de ma patrie,
Je vais parler avec sincerité
C'est à Bergame, hélas ! en Italie
Qu'une Tripière en ses flancs m'a porté.
MEZZETIN, ému de cette réponse AIR 036 Je ne suis né ni roi ni prince ou De tous les capucins du monde
Quel transport de mon coeur s'empare !
Pour vous il se trouble, il s'égare
Puis-je méconnoître ces traits
C'est Arlequin que j'envisage !
J'en crois mes mouvemens secrets,
Et mes yeux encor davantage.
ARLEQUIN AIR 045 Monsieur la Palisse
C'est lui, ( plaignez ses malheurs )
C'est lui que le sort balotte.
Reconnoissez-le à ses pleurs,
Encor plus à sa culotte
( Il montre sa culotte d'Arlequin )
Mezzetin & Pierrot se font connoître de la même maniere.
MEZZETIN AIR 033 Ma mère, mariez-moi
Le Ciel change ton destin
Vois Pierrot & Mezzetin
ARLEQUIN
Quoi, mes bons amis, c'est vous ?
MEZZETIN
Oui, cher Arlequin.
ARLEQUIN
Que ce jour m'est doux !
Ah ! mes bons amis, c'est vous !
PIERROT
Quel bonheur !
ARLEQUIN
Embrassons-nous.
Après qu'ils se sont embrassés tous trois à plusieurs reprises, Mezzetin dit :
MEZZETIN AIR 046 Joconde ( de )
J' ai fait préparer un vaisseau,
Pour nous sauver en France.
Le jour a perdu son flambeau,
Partons en diligence.
Que nous allons boire à Paris
De flacons de Champagne !
( montrant des pierreries )
Avec ces brillants, que d'Iris
Nous mettrons en campagne !
ARLEQUIN AIR 047 Lon lan-la, derirette
Oui ; mais avec tous nos bijoux
Emportons l'Idole avec nous,
Lon lan-la, derirette ;
Car l'Opera finit ainsi,
Lon-lan-la, deriri.
Arlequin, Pierrot et Mezzetin pillent le Temple. Ils veulent enlever Kesaya, qui s'abîme, et ne laisse entre leurs mains qu'un cochon de lait. Ensuite la Pagode tombe par morceaux, comme si ce sacrilège eût attiré l'indignation de l'Idole. Ils s' enfuient tous trois, et par-là finit la Pièce.